Ce n'est pas que je ne veux pas donner d'argent à une personne qui le mérite et qui m'apporte quelque chose, c'est que je ne peux pas le faire.
Oui, cette phrase est trop catégorique, et même fausse. Je "peux" le faire. Mais à quel prix, et sous quelles conditions ? Je vais essayer dans ce billet d'exposer ce que je considère maintenant comme un des problèmes de base de notre société. Commençons par un petit retour en arrière...
Dans l'temps...
Avant, dans un monde sans technologie de l'information et de la communication, nous avions des contacts qui impliquaient une présence physique. J'entendais un chanteur dans la rue ou dans une salle de concert, j'allais au théâtre voir une pièce ou j'écoutais un poète déclamer ses vers. Toutes ces activités ne pouvant être faites qu'à une distance "humaine" de l'autre, il était simple de remercier monétairement l'autre : je pouvais lui donner de mon argent, quelques unes de mes pièces d'or ou de bronze durement acquises. On utilisait notre argent physique (notre "monnaie"), dont nous étions les uniques propriétaires, de la façon que nous voulions.
Gardez ce point en tête, j'y reviendrai.
Puis vint l'Internet
En évoluant, en créant et en adoptant de nouvelles technologies de communication, nous avons au fur et à mesure retiré la nécessité de proximité physique des échanges culturels. L'écriture a certainement été la première étape, il y a bien longtemps, en permettant de transmettre du savoir entre deux êtres humains sans qu'ils ne soient nécessairement en contact physique. L'imprimerie a sublimé cela. La radio a continué ce processus, puis la télévision, et bien entendu l'Internet qui vient supplanter toutes ces technologies. Aujourd'hui, j'écoute ma musique sur Spotify, je télécharge les films que je veux voir, les séries aussi, je regarde de temps en temps des émissions de télévision en différé sur le net, je télécharge mes livres, je lis des blogs, je regarde des vidéos sur YouTube, je joue en ligne... La majorité de mon activité culturelle passe par mon ordinateur et l'Internet. Est-ce une bonne chose ? J'estime que oui, parce que je crois que sans l'Internet, j'aurais tout simplement infiniment moins de culture. Cependant, ce n'est pas sur ce point que je veux débattre.
Il y a une question qui revient très souvent en tant qu'argument d'opposition au partage : l'argent. En partageant l’œuvre d'autrui, je lui coupe les vivres, je lui retire sa dignité d'être humain et je le condamne à la misère. C'est vrai : en refusant de cautionner et de participer à un système que je n'apprécie pas, je coupe une partie des revenus des artistes que j'aime. Cela reste cependant à pondérer, tant on sait aujourd'hui que les "éditeurs" (au sens large du terme, donc qui comprend aussi bien les majors de l'industrie musicale que les producteurs hollywoodiens) ne respectent pas les-dits artistes et ne leur versent qu'une part infime de l'argent que j'aurais, moi, payé. Ploum exprime très bien dans un récent article les raisons qui me poussent moi aussi à vouloir sortir de ce système, lire Pourquoi je suis un pirate !
Pas d'argent... Pas d'argent !
Donc, le cœur du problème reste tout de même là : moi, je ne donne plus d'argent aux gens que j'estime. La question que je me pose maintenant, c'est "Pourquoi ?" Moi je suis un gars honnête, je suis content de profiter de toutes ces magnifiques créations de mes contemporains, et j'aimerais les encourager en leur donnant un peu de mon argent. Alors pourquoi ne le fais-je pas ?
J'ai récemment été confronté à une telle situation : je voulais acheter un des excellents livres de Thierry Crouzet. Le problème, c'est que le livre en question n'était achetable que par Paypal. Ayant choisi de ne plus utiliser les services de ce dernier pour des raisons éthiques, je me suis retrouvé dans une situation qui est en fait incroyablement commune : il m'est impossible de donner mon argent à quelqu'un sur l'Internet. Pas réellement impossible, mais tellement compliqué que c'est proche d'impossible. Et pour que ça soit un tout petit peu (mais pas trop quand même) plus simple, je dois sacrifier une partie de mes convictions et de ma liberté.
Et c'est à mon avis sur ce point très précis que se trouve un de nos plus gros problèmes, et une des plus grandes victoires des puissants, ici par le biais des banques. Le paiement en ligne est intégralement contrôlé par les banques. Il est impossible aujourd'hui de procéder à un seul échange d'argent en ligne qui ne soit pas tracé, vérifié et stocké quelque part. Et le pire, le pire, c'est que ce n'est même pas simple ! Payer par carte bancaire en ligne est un parcours du combattant ! Les banques ont donc réussit le tour de force de nous emprisonner dans un système où elles contrôlent tout. Finie la monnaie qui partait on ne sait où, finie la pièce de 2€ que tu donnes à ton prochain et qui échappe à sa taxe de 5% pour la banque : dans le monde numérique, tout échange monétaire est tracé et taxé. En entrant dans le numérique, nous avons perdu une de nos libertés : celle de donner librement notre argent à une personne qui est dans notre proximité. Et le fait que dans l'Internet nous soyons tous proches les uns des autres ne justifie pas cette perte, bien au contraire.
Une limite technique
Je voudrais pouvoir donner mon argent à qui je le souhaite, en ligne, de manière simple. Comme je peux donner un billet à un chanteur de rue, je veux pouvoir donner 5€ à Lady Gaga ou à DEF. Cette impossibilité technique est une atteinte à nos libertés.
Cependant, comme je viens de l'écrire, c'est une limitation principalement technique. Il nous est donc possible de créer des solutions à ce problème. Et il y en a déjà ! Regardez BitCoin, le projet de monnaie numérique décentralisée : en utilisant ce système, il est possible de transférer de l'argent sur l'Internet de manière simple, sécurisée, et surtout de manière libre ! Personne ne peut vous empêcher de faire une transaction licite dans ce système.
Seulement le système BitCoin n'est pas parfait : comme beaucoup de systèmes à portée sociale, il faut que beaucoup de gens utilisent, ou au moins acceptent les BitCoins pour que ça ait un vrai impact. Je ne crois pas que ça soit le cas aujourd'hui, et c'est très dommage. Cependant, il ne tient qu'à nous de faire que ça change...