Motion Twin
Motion Twin est un studio de jeux vidéo basé à Bordeaux. J'ai découvert leur existence il y a une quinzaine d'années grâce leurs jeux Web comme MiniVille, La Brute, DinoRPG et le majestueux Hordes. Vous avez peut-être entendu parler d'eux ces derniers temps avec l'incroyable succès de leur dernier jeu, Dead Cells.
La particularité de Motion Twin, c'est qu'ils sont organisés en coopérative. Tous les membres sont associés, les salaires sont égaux, les décisions sont prises collectivement, il n'y a pas de hiérarchie. Comme ils le disent sur leur site : « Nous partageons donc les décisions, mais également leurs conséquences : les risques et les récompenses. » Et je sais pas vous, mais moi, c'est un modèle qui me fait rêver.
Voilà le point de départ de cette histoire. Ce n'est pas Motion Twin qui m'a donné envie de faire des jeux, mais depuis que je les connais, l'idée de créer une coopérative n'a jamais quitté mon cerveau. Et vous allez voir que, confronté à la vie active, cette idée est devenue de plus en plus séduisante.
Les années passent, je termine mes études et dois trouver un stage pour boucler tout ça. Le choix de ce stage de fin d'études a été difficile pour moi. Je voulais quelque chose qui soit à l'intersection de trois domaines qui me tiennent à cœur : le Web, les jeux vidéo et l'éthique. À l'époque (et c'est probablement encore le cas aujourd'hui), un tel poste n'existait quasiment pas. J'ai donc choisi le meilleur compromis que j'ai trouvé : le Web et l'éthique, chez…
Mozilla
Mon emploi chez Mozilla (qui a duré 9 ans, en comptant le stage) était ma première expérience significative du monde du travail. J'y suis arrivé avec une certaine naïveté. On m'a vendu du rêve avec un système méritocratique, censé récompenser les initiatives et le travail. On m'a dit que nos leaders étaient accessibles et transparents, que je pouvais avoir un impact sur les prises de décision. Et, je dois être honnête, j'ai aussi projeté dans l'organisation un ensemble d'idéaux qui n'ont probablement jamais existé que dans ma tête.
Je me suis confronté à la réalité des choses à mesure que je me politisais (j'en parle dans la prochaine section) et que Mozilla grossissait. J'ai compris que la méritocratie n'était qu'une autre manière de créer un système strictement hiérarchisé. J'ai aussi constaté que cette méritocratie ne récompensait pas forcément celles et ceux qui travaillaient le mieux, mais celles et ceux qui savaient le mieux se présenter, confirmant ainsi un paquet de biais sociétaux, avantageant finalement les mêmes groupes de personnes.
J'ai constaté que les processus de décision n'étaient ouverts que lorsque que la décision avait fondamentalement peu d'importance stratégique. J'ai découvert, en même temps que l'immense majorité de mes collègues, les annonces fracassantes qui ont marqué Mozilla ces dernières années — rachat de Pocket, arrêt de Firefox OS, licenciements économiques… J'ai vu les inégalités salariales se creuser, les dirigeants s'augmentant indécemment pendant que la santé financière de l'entreprise décroissait. Les coupes budgétaires qui ont suivi ont eu un goût particulièrement amère.
Peut-être que tout ceci est finalement assez classique dans les grandes entreprises. Peut-être que, comparativement au reste du monde, ce n'est pas si grave. Mozilla reste une entreprise où il fait bon vivre. Le problème, c'est la dissonance de plus en plus grande entre la réalité de la boîte et mes idéaux. Le problème, finalement, c'est que pendant ce temps, j'ai découvert qu'on pouvait faire bien mieux…
L'intelligence, oui, mais collective
Depuis longtemps, j'ai l'envie profonde de changer le monde. Alors de fil en aiguille, depuis mes 20 ans environ, j'ai exploré le vaste monde des alternatives politiques. J'ai écouté des gens parler sur le web, j'ai lu des bouquins, j'ai beaucoup discuté avec mon entourage de ces alternatives. La culmination de tout ça, pour moi, a été l'organisation des Expériences Politiques. Ce sont des semaines de conférences, ateliers et rencontres autour d'autres manières de faire de la politique.
Parmi toutes mes découvertes, l'intelligence collective et l'horizontalité ont un rôle central. L'horizontalité, c'est une sorte d'anti-hiérarchie. C'est aplatir la pyramide des pouvoirs, c'est mettre les gens sur le même plan, avec le même pouvoir. L'horizontalité nécessite la coopération des acteurs et le partage optimal de l'information. Ce n'est pas une utopie : nous vivons l'horizontalité régulièrement, souvent de manière spontanée.
L'intelligence collective, c'est un ensemble d'outils et de méthodes qui facilitent, encadrent et accompagnent la prise de décision collective. Ces outils servent à créer et à faire vivre une organisation horizontale. Ils permettent notamment de créer un cadre de « sécurité » pour les participant⋅e⋅s, de définir une intention commune pour le groupe, et par là de faire émerger les bonnes conditions pour l'action horizontale.
Ces sujets sont extrêmement vastes, et mes connaissances viennent de formations et ateliers, j'ai donc peu de ressources numériques à vous proposer. L'Université du Nous travaille sur ces sujets depuis longtemps et propose un ensemble de documents qui détaillent une partie des méthodes de l'intelligence collective. Je suis également en train de lire le livre Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux, qui m'a été recommandé comme un excellent point d'entrée.
Pourquoi vous parler de tout ceci ? Parce que je suis convaincu que l'horizontalité est une partie de l'antidote à la frustration que j'ai vécue chez Mozilla. J'ai eu la chance d'expérimenter ces outils dans plusieurs cadres différents — dans des associations de 8 à 40 personnes, dans des ateliers, dans mon équipe chez Mozilla. À chaque fois, j'en suis sorti grandi, heureux du travail collectif, de l'intelligence déployée et utilisée. Je n'ai qu'une envie : continuer à exploiter ces outils et voir jusqu'où ils peuvent mener.
Souls Coop
Nous voici au présent ! Je ne travaille plus pour Mozilla, et le moment est donc venu pour moi de créer cette entreprise, ce cadre de travail, sinon idéal, au moins qui s'en rapproche le plus possible. En utilisant les méthodes de l'intelligence collective dans une entreprise coopérative, je souhaite créer un cadre de travail bienveillant et respectueux. Une organisation dans laquelle les décisions seront prises par les salarié⋅e⋅s, où nous aurons le contrôle direct de notre production. Enfin une organisation sans domination structurelle, sans chef qui ordonne et subordonné qui obéit.
Mais tout cela, je le développerai… dans mon prochain billet ! :-)
En attendant, si ceci vous a mis l'eau à la bouche et que vous voulez me contacter, vous pouvez m'écrire par email ou me retrouver sur Twitter, sur linkedin ou sur mastodon.
Merci à Aurélien, Benjamin, Édouard, Laura et Pierre-Alain pour la relecture.